Image d'illustration Le Chœur de Saint-Guillaume et les créations

Le Chœur de Saint-Guillaume et les créations

Portrait de Gregor Mathias

par Gregor Mathias
docteur en Histoire et chercheur en géopolitique

Toute création musicale repose sur une relation de confiance tissée entre d’un côté le compositeur et de l’autre les musiciens qui vont l’interpréter. C’est à cette relation de confiance que l’on doit à Francis Poulenc d’avoir choisi Fritz Münch, le chef du Chœur de Saint-Guillaume, pour la création de son Stabat Mater, le 13 juin 1951, alors que son frère Charles Münch, au sommet de sa gloire comme chef du prestigieux Orchestre symphonique de Boston, semblait redouté pour son originalité. Les craintes de Francis Poulenc s’estomperont à la création de son Gloria par Charles Münch, dix ans plus tard à Boston.

Photo de la Création du Stabat Mater de Poulenc au Palais des Fêtes de Strasbourg

La tradition du Chœur de Saint-Guillaume de donner les œuvres de J.S. Bach et notamment les grands oratorios comme les Passions, ne l’a jamais empêché de faire entendre des créations de jeunes compositeurs au public strasbourgeois, et parfois même européen grâce à la retransmission par Radio Strasbourg.

Alors qu’il n’a qu’une dizaine d’années d’existence, le Chœur de Saint-Guillaume crée une première œuvre du compositeur autrichien Heinrich von Herzogenberg (1843-1900), l’un des trois fondateurs du Bach-Verein de Leipzig, association qui avait pour but de diffuser les cantates de J.S. Bach. C’est la Passion, op. 93 qui est donnée pour la première fois par ce chœur sous la direction d’Ernest Münch, les 15 et 16 avril 1897. Du même compositeur, le Chœur de Saint-Guillaume donne le 10 juillet 1899 la première de l’oratorio Erntefeier, op. 104, pour chœur, solistes et orchestre.

Le 6 février 1901, le Chœur de Saint-Guillaume accompagné du Chœur acadé- mique, de l’Orchestre municipal et de l’organiste Albert Schweitzer(1), présentent sous la direction d’Ernest Münch et en création mondiale, l’oratorio Durch Nacht zum Licht (Per tenebras ad lucem) pour chœur, solistes, orchestre et orgue de Georg Rauchenecker. Né en 1844 en Bavière, il débute sa carrière, en 1862, comme maître de chapelle à Aix-en-Provence puis comme chef d’orchestre à Carpentras et Avignon. Expulsé du territoire français à la suite de la première guerre mondiale, il devient membre du Quatuor Triebschen sous la direction de Richard Wagner qui donne des concerts consacrés aux quatuors de Beethoven. Il devient chef de l’orchestre de Winterthur en Suisse, puis de l’Orchestre sympho- nique de Berlin. De 2014 à 2022, ses œuvres pour orchestre, orgue et violon ont été enregistrées par les musiciens du Festival de musique de Winterthur.

Le 6 décembre 1911, le jeune chef d’orchestre Wilhelm Furtwängler, dirige lui- même le Chœur de Saint-Guillaume et l’Orchestre municipal de Strasbourg dans son Te Deum pour quatuor vocal, chœur et orchestre qu’il a composé à l’âge de 19 ans. Ce Te Deum sera enregistré par l’Orchestre philharmonique de Berlin en 1967, suivi de trois autres enregistrements, dont le dernier par Takeo Noguchi en 2004(2).

Dans les années 1920, Fritz Münch se lie d’amitié avec Arthur Honegger dont il contribue à faire connaître les œuvres. L’oratorio Le Roi David créé le 2 décembre 1923 à Winterthur dans une première version en allemand, puis à Paris en version française en 1924, est présenté pour la première fois à Stras- bourg par le Chœur de Saint-Guillaume le 15 février 1925. Devant le succès rencontré, il y sera redonné le 18 novembre de la même année, avec en création mondiale Les deux chants d’Ariel, accompagnés au piano par la future épouse du

compositeur, Andrée Vaurabourg. Dans ses mémoires, A. Honegger se souvient : « En assistant à la dernière répétition de ma partition dans cette église Saint-Guil- laume, j’ai très clairement senti quelle consécration et quel honneur m’étaient échus »(3). Passionné par cet oratorio, Fritz Münch l’enregistre pour la firme Decca en janvier 1929. Dans le cadre d’un hommage à Charles Münch, frère de Fritz Münch, la firme Lys-Dante Productions diffuse à nouveau, en 1998, cet enre- gistrement historique dans son volume « Les frères Münch dirigent ». Le chœur présentera également Jeanne au Bûcher et la Danse des morts d’ A. Honegger pour la première fois à Strasbourg en 1947.

« Toute ma vie, je me suis considéré comme un compositeur qui dirige, jamais comme un chef d’orchestre qui compose », cette réflexion de Wilhelm Furtwängler aurait pu être partagée par les différents chefs du Chœur de Saint-Guillaume qui se sont essayés à la composition. Le chœur leur rendra hommage en présentant leurs créations, comme La Grande Doxologie (1933) et Sehnsucht (1938) d’Ernest Münch, Bénis ton Dieu, mon âme (1988) d’André Stricker, chef du chœur de 1963 à 1967, ainsi que le cantique O Saint Esprit, esprit d’amour (1988) de René Matter, chef du chœur de 1967 à 1988(4).

Depuis près de 140 ans, les chefs du Chœur de Saint-Guillaume se sont attachés à donner avec exigence les grandes œuvres du répertoire tout en s’engageant avec audace dans des créations d’œuvres contemporaines, avec la volonté fervente de toujours servir la musique.

Références

1 Erik Jung, Le Chœur de Saint-Guillaume de Strasbourg, éd. P. Heitz, 1947, p. 233 et Affiches de Strasbourg. Strassburger Wochenblatt, 2 février 1901, « Chronique artistique », p. 6.
2 Erik Jung, Le Chœur de Saint-Guillaume de Strasbourg, éd. P. Heitz, 1947, p. 139 et site de la Société Wilhelm Furtwängler (furtwangler.fr) ; 1911, 6 décembre – Strasbourg.
3 Erik Jung, Le Chœur de Saint-Guillaume de Strasbourg, éd. P. Heitz, préface d’A. Honegger. 
4 Inventaire des archives du Chœur de Saint-Guillaume.