Image d'illustration Un écho : le Stabat Mater de Poulenc à New York

Un écho : le Stabat Mater de Poulenc à New York

Portrait de Dr. Sylvia Kahan

par Dr. Sylvia Kahan
Professor of Music, City University of New York

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Le Stabat Mater de Francis Poulenc (1951) est une œuvre qui semble être née sous une bonne étoile. L’œuvre fut créée à Strasbourg le 13 juin 1951 et reçut un accueil triomphal ; elle fut donnée au Festival de Strasbourg par la soprano Geneviève Moizan, le Chœur de Saint-Guillaume et l’Orchestre municipal de Strasbourg sous la direction de Fritz Münch. Comme il a été noté ailleurs, l’œuvre a enthousiasmé le public et a fait l’objet de nombreuses critiques élogieuses dans la presse française. Mais la beauté de ce travail trouva également un écho outre-Atlantique : la deuxième exécution majeure du Stabat Mater eut lieu le 27 avril 1952, dans le lieu rien moins prestigieux que Carnegie Hall à New York. C’est à l’éminent chef de chœur américain, Robert Shaw, que la première américaine fut confiée. Il choisit d’associer les chœurs du Collegiate Chorale, le Robert Shaw Chorale et le R.C.A. Victor Symphony Orchestra, avec comme soliste, la mezzo-soprano Evelyn McGarrity.

Depuis longtemps, Poulenc tenait Robert Shaw en haute estime. Shaw fut l’un des premiers chefs de chœur non européens à programmer les œuvres de Poulenc, suscitant ainsi l’intérêt pour le compositeur, alors inconnu aux États-Unis. Poulenc écrivit au chef d’orchestre en lui exprimant l’espoir qu’ils puissent se rencontrer lors de la prochaine visite de Poulenc aux États-Unis en octobre 1948 ; il conclut la lettre : «D’ici là je vous en prie de croire, monsieur, que je me considère déjà, de loin, comme votre ami.» 1 Les deux ne réussirent à se rencontrer qu’à l’été 1949, lorsque Shaw vint à Paris pour étudier avec Nadia Boulanger.

À cette époque, Poulenc ne faisait que commencer à travailler sur le Stabat Mater, écrit en mémoire de son ami bien-aimé Christian Bérard ; il espérait que Shaw puisse donner la première de la nouvelle œuvre à New York au cours de la saison 1950-1951.

Poulenc a travaillé sur le Stabat Mater pendant le reste de l’année 1950, et la première exécution, comme nous le savons, eut finalement lieu à Strasbourg le 13 juin 1951, sous la direction de Fritz Münch.

Lettre Manuscrite de Francis Poulenc à Fritz Münch
Courrier de Francis Poulenc à Fritz Münch adressé depuis New York en février 1952 en prévision de la première du Stabat Mater à Paris. © Coll. Chœur de Saint-Guillaume.

Entre-temps, Poulenc fit en sorte que Shaw dirigeât la première américaine, dans le cadre de sa série de six concerts, série consacrée aux chefs-d’œuvre choraux. Le 10 août 1951, Poulenc écrivit à Shaw : « Inutile de vous dire combien je me réjouis de vous voir vous intéresser à cette œuvre. L’enregistrement de la Messe [en Sol majeur] ne cesse de m’émerveiller, de m’émouvoir, de m’enchanter. C’est vous dire que j’attends avec impatience votre exécution du Stabat. Vous avez un sens étonnant de ma musique et vous me devinez, ce qui est bien agréable. » Une lettre suivante, alertant Shaw que la réduction du piano arriverait bientôt, est bouillante : « Quelle joie de vous confier mon nouvel enfant : le Stabat dont vous allez recevoir une épreuve. […] Ayant pénétré tous les secrets de ma musique chorale, vous serez comme chez vous.»

Poulenc et Bernac devaient retourner à New York en janvier et février 1952 pour une tournée sur la côte Est, comprenant un récital à l’Hôtel de Ville de New York, ainsi qu’un séjour d’une semaine à Caracas au Vénézuela. Bien que Poulenc espérât être présent pour la première du Stabat Mater en Amérique, les complexités de son programme, une fois de plus, rendirent impossible sa présence au concert prévu en avril.

Le séjour à New York offrit à Poulenc l’opportunité d’assister à deux concerts du Robert Shaw Chorale à Carnegie Hall. […] Depuis Caracas, Poulenc écrivit à Shaw pour le féliciter, ajoutant à la fin de sa lettre : « Pour le Stabat le solo doit être très prima donna italienne (Desdemona) et non un ange comme la céleste soliste de la Messe. Pensez-y c’est très important.» 2

Tous les rapports indiquent que le concert du Stabat à Carnegie Hall avait effectivement été sublime. La critique de Ross Parmenter du New York Times, parut le lendemain matin : « Le [Stabat Mater] […] est divisé en douze parties et nécessite un peu plus d’une demi-heure d’exécution. Chaque partie était distincte et la diversité assurée de différentes manières, mais l’effet était remarquablement homogène. Il fit son effet avec gravité, non pas en raison d’une quelconque lourdeur, mais par le sens qu’elle revêtait. Et l’interprétation avait la même qualité que l’œuvre. C’était pur, sensible, sobre et sans emphase. Chacun s’est surpassé afin de rendre au mieux les beaux et révérencieux effets de l’œuvre.» 3

Cela prit plusieurs mois avant que Poulenc ne reçoive le disque de la première du Stabat Mater à Carnegie Hall : il fut retenu par « un long stage à la douane française ». Mais après l’avoir écouté, Poulenc écrivit à Shaw, «Vous m’avez fait pleurer de joie. Il est impossible de rêver une plus belle exécution. C’est admirable d’un bout à l’autre. Comme c’est réconfortant de se sentir si totalement compris.» 4

L’amitié transatlantique et l’admiration mutuelle partagées par les deux hommes a duré tout au long de la vie de Poulenc. Après la mort du compositeur, Robert Shaw continua de programmer ses œuvres en concert et de les enregistrer durant plus de quarante ans, jusqu’au milieu des années 1990. Il eût été gratifiant pour Poulenc de savoir que tout au long de sa carrière professionnelle, Shaw avait été un infatigable champion de sa musique. Quoi qu’il en soit, il eut le merveilleux réconfort de savoir que Shaw comprenait sa musique, jusqu’au plus profond de son essence même.

Notes et Références

  1. Francis Poulenc à Robert Shaw, Paris, s.d. [été 1948], Robert Shaw Papers, MSS 86, Gilmore Music Library, Yale University. La correspondence entre les deux musiciens, comprenant treize lettres, a été publiée pour la première fois dans un article de Carl B. Schmidt in The Musical Quarterly 93, no. 2 (Summer 2010): p. 329-359.
  2. Francis Poulenc à Robert Shaw, en-tête Hotel Potomac [Caracas, Venezuela], 31 janvier [1952], Robert Shaw Papers. Shaw a finalement engagé la mezzo-soprano Evelyn McGarrity comme soliste pour Stabat Mater.
  3. R. P. [Ross Parmenter], « Two Choral Groups Sing Poulenc Work », The New York Times, 28 avril 1952, p. 23.
  4. Francis Poulenc à Robert Shaw, 22 juin [1952], Robert Shaw Papers.